Quand le centre d’enrôlement va à la recherche des nouveaux majeurs

9 mai 2022

 

©PNUD Mali / Mohamed Diawara

 

Un taux de participation aux élections historiquement bas au Mali 

Le Mali a longtemps été considéré comme l'un des exemples les plus réussis de démocratie en Afrique, pour avoir tenu des élections libres et régulières depuis 1991 et entrepris certaines initiatives de bonnes pratiques démocratiques (mise en place d’institutions démocratiques, espace d’interpellation démocratique, bureau du vérificateur général, etc.). 

Cependant, depuis 2012, le pays traverse une crise multidimensionnelle (socio-politique, sécuritaire et institutionnelle) entraînant des conséquences néfastes sur la vie des populations et des institutions de la République. La persistance de cette crise a contribué à réduire la confiance entre les populations et l’État à cause, notamment, du déficit de gouvernance, de la corruption, du sentiment d’impunité et de la persistance de l’insécurité, surtout dans le Centre et le Nord du Mali. 

Des premières élections de 1992 aux plus récentes, le constat est qu’il n’y a jamais eu d’afflux vers les urnes (taux moyen de participation de moins de 40%) et cela bien que beaucoup de moyens techniques, financiers, logistiques et humains aient été déployés pour cela. Exception notable due à des circonstances exceptionnelles, en 2013, le taux de participation avait atteint un record historique de 48,98% au premier tour de l’élection présidentielle, une première depuis l’accession du Mali à l’indépendance en 1960. 

Les dernières élections en 2018 (présentielle) et 2020 (législatives) ont enregistré respectivement 42,70% et 35,58% de taux de participation lors du 1er tour. Ces statistiques sont inquiétantes et constituent de mauvais indicateurs pour une démocratie active, dynamique et inclusive. En effet, la participation permet de mesurer le degré d’adhésion des citoyens au processus électoral.

Pourquoi ce désintérêt des citoyens pour les élections ?

Les citoyens perdent de plus en plus l’intérêt pour la « chose politique » et particulièrement pour les élections qui sont pourtant un droit et devoir citoyen. Or, il est important de participer au choix éclairé du candidat qui aura la charge de conduire la destinée de tout un peuple durant tout un mandat (05 ans pour un mandat présidentiel au Mali). Beaucoup de personnes estiment que le jeu est joué d’avance et ne croient pas en la transparence et la crédibilité des processus électoraux. La culture démocratique et l’esprit de citoyenneté ne sont pas suffisamment ancrés, tout ceci est consécutif au système de gouvernance politique peu inclusif et fédérateur, posant ainsi toute la problématique de la légitimité de certains élus. L’analphabétisme et la pauvreté constituent également des facteurs de la faible participation aux processus électoraux.

Le paradoxe des jeunes maliens   

Des jeunes, tout comme d’ailleurs des femmes dans leur grande majorité, sont « utilisés » par les partis politiques pour aider à mobiliser l’électorat et battre campagne contre quelques récompenses (distribution de pagnes, tee-shirts, organisation de matchs de football et de festivités, etc.). Cette situation est d’autant plus effrayante lorsque l’on sait que les jeunes, qui constituent l’avenir d’un pays, auraient pu recevoir des formations appropriées en politique et citoyenneté afin d’être des acteurs actifs (électeurs et candidats) des processus électoraux. Nous n’avons nullement la prétention ici de généraliser la situation décrite ci-haut, car il existe évidemment une jeunesse dite consciente, très active et engagée au sein des partis politiques, associations politiques, ou même des clubs de soutien qui participent à la vie politique et aux initiatives de développement de leurs collectivités.

La réponse du ministère de l’Administration Territoriale et du PNUD

Face à cette situation d’immobilisme et de manque d’engouement des jeunes à aller se faire enrôler, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, en partenariat avec les Nations Unies et le Royaume du Danemark, a décidé en fin 2020 d’innover en changeant de stratégie à travers le lancement des opérations spéciales d’enrôlement dans toutes les régions et cinq ambassades du Mali à l'étranger (Abidjan, Niamey, Accra, Dakar, Nouakchott). Au lieu que les jeunes se rendent dans les centres d’enrôlement installés soit dans l’enceinte des mairies ou des écoles, ce sont plutôt les équipes d’enrôlement constituées de jeunes volontaires maliens qui se sont déployées dans tous les lieux à forte concentration de jeunes, notamment dans les GRINS (lieux de retrouvailles et de causerie), les ateliers de travail, les terrains de sport, les marchés, les universités et grandes écoles. 

De l’avis du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, ces opérations qui se sont déroulées de décembre 2020 à septembre 2021, ont permis d'enrôler environ 800.000 nouveaux majeurs et omis dans la base de données du RAVEC (Recensement administratif à vocation d'état civil). Elles ont bénéficié de l'appui financier et technique du PNUD et du Royaume du Danemark.  Elles auront été un succès et devraient servir d’un cas d’école.

 

L’enrôlement n’est pas une fin en soi 

L’enrôlement dans la base de données du RAVEC ne garantit aucunement la mobilisation des jeunes enrôlés pendant les scrutins, toutefois, il reste la condition sine qua none pour qu'un citoyen puisse figurer sur la liste électorale pour prétendre exercer son droit de vote.

Après cette opération, il faut prévoir une série de mesures complémentaires pour maintenir une bonne dynamique en vue de favoriser une participation massive lors des élections. Des campagnes d’information, d’éducation citoyenne et de communication à travers différents canaux doivent être conduites. Les partis politiques doivent également assurer la formation de leur électorat, y compris les jeunes (candidats et électeurs) sur l’importance des élections, les techniques de communication en public, la vie politique, l’histoire des Hommes politiques célèbres, etc. en vue de susciter leur intérêt. Des panels de discussions avec les jeunes mais également d’imminentes personnalités politiques et universitaires pour partages d’expériences, constituent également des pistes à explorer.

Auteur : Fatimata Ossade Traoré, Cheffe Unité Gouvernance Démocratique et Consolidation de la Paix au PNUD Mali

Avec la contribution de Thompson Sama Fongwe, Conseiller Technique Principal /PAREM et Sabine Ohayon, Spécialiste Reporting/Renforcement des capacités