La technologie au service de la lutte contre les fake news en ligne au Maroc

12 septembre 2021

Résumé: L’Accelerator Lab du Maroc démarre en partenariat avec une organisation locale une nouvelle expérience qui mobilise l’intelligence collective et la technologie afin de lutter contre les fake news sur Internet au Maroc.

Les fake news ne sont pas un nouveau phénomène au Maroc, les rumeurs et les fausses informations ont toujours existé, mais la révolution de l’information que nous vivons en ce moment, y compris le développement rapide des médias sociaux et de la technologie des smartphones ont dangereusement amplifié ce phénomène. Ses conséquences négatives sur la vie sociale, économique et politique en font un sujet central qui mérite toute notre attention. Malheureusement, la pandémie de Covid19 a compliqué la situation, au fur et à mesure que la distanciation physique et le télétravail devenaient la norme, les gens ont commencé à passer plus de temps en moyenne sur Internet devant leurs écrans, et ont donc été exposés à une quantité plus importante de fake news.

En outre, la propagation rapide du virus et le développement de vaccins pour y faire face sont des sujets qui ont créé un large champ de discussion dans lequel les gens spéculent, produisent de fausses informations et les disséminent. La nature exceptionnelle de cette pandémie globale et des mesures sans précédent adoptées par les autorités publiques et le secteur privé pour y faire face ont également créé un terrain fertile pour la production et la circulation de toutes sortes de théories du complot et autres fausses informations.

Dans ce genre de situations, les gens ont tendance à se tourner vers des institutions légitimes et crédibles pour y obtenir de l’information, mais les disputes entre politiciens concernant les mesures nécessaires pour répondre à la pandémie, ainsi que l’éclatement au grand jour des divergences au sein de la communauté scientifique ont malheureusement donné aux gens des raisons de se détourner de ce qui était autrefois considéré comme des institutions crédibles et légitimes, pour aller chercher leurs informations sur Internet auprès de sources alternatives mais à la crédibilité douteuse.

Dans le contexte marocain, la situation est encore plus problématique, vu le niveau encore relativement élevé d’analphabétisme, vu la faible proportion de la population qui font l’effort de payer pour lire une information de qualité, et en raison d’un manque de confiance dans la classe politique et les autorités publiques de manière générale.

Comme mentionné précédemment, la pandémie de Covid19 est un sujet qui se prête particulièrement aux fake news. Il y a en effet un niveau élevé d’intérêt de la part de la population pour discuter ce sujet car il s’agit là de quelque chose qui impacte les gens dans leur corps. Dans une société où les connaissances des gens en matière de virologie et d’immunologie sont très limitées, et où les remèdes traditionnels pour toutes sortes de problèmes sont encore couramment utilisés, il n’est pas surprenant que la propagation de fausses informations ait augmenté avec la pandémie actuelle. Cela a même mené à un certain nombre d’arrestations à travers le pays, et à un débat agité sur une proposition de loi visant à criminaliser la diffusion de fausses informations sous certaines conditions.

Au sein de l’Accelarator Lab du bureau du PNUD au Maroc, nous reconnaissons les impacts négatifs que les fake news ont sur la vie des gens de différentes façons, et nous sommes heureux d’être un des 8 laboratoires impliqués dans la collaboration globale du PNUD avec l’initiative « Healthy Internet Project, incubated at TED ». Il s’agit là d’un ambitieux projet pilote de modération partagée du contenu en ligne (crowdsourced moderation of the world wide web), grâce à une extension sur les navigateurs internet qui permet aux gens de signaler les pages web qui contiennent des mensonges, de la manipulation, du harcèlement, où de l’appel à la haine. Au lieu de suivre une approche top-down dans laquelle une autorité centrale a le pouvoir de décider quelles informations sont bonnes et lesquelles ne le sont pas, l’idée ici est de parier sur le crowdsourcing et l’intelligence collective des citoyens, ce qui est d’autant plus nécessaire dans un contexte de manque de confiance dans les médias et institutions publiques traditionnelles.

Dans ce projet, en partenariat avec Tahaqaq, une organisation locale, nous avons décidé de travailler avec un groupe d’une centaine d’étudiants à l’université qui ont exprimé un intérêt pour ce sujet, et de leur donner une formation sur les fake news et les techniques de fact-checking. L’objectif est de tester le degré auquel la formation et l’inclusion dans un programme de 4 mois peuvent améliorer la capacité des étudiants à détecter les fausses informations. Le contenu signalé est validé par un petit groupe de journalistes et de professionnels des médias issus du même milieu socio-culturel et informationnel, et qui ont donc les connaissances nécessaires pour bien identifier et interpréter les fake news. Nous réalisons que beaucoup de marocaines et marocains naviguent sur internet principalement sur leur smartphones plutôt que sur un ordinateur. Une version de l’extension pour les smartphones est en cours de développement par l’équipe du « Healthy Internet Project », et nous sommes impatients de pouvoir la tester ici.

Un autre de nos objectifs est de démarrer puis d’entretenir une discussion en ligne au sujet des fake news, grâce aux étudiants, auxquels il est demandé de signaler les fausses informations, mais aussi de publier activement du contenu vidéo sur les réseaux sociaux, et d’engager la discussion avec les autres internautes dans une démarche de sensibilisation.

En effet, l’un des principaux problèmes identifiés, et qui n’est pas spécifique au Maroc, comme nous l’ont confirmé d’autres Accelerator Labs, est celui des « Filter Bubbles », ou bulles filtrantes : au moment d’évaluer la crédibilité d’une information, le premier réflexe des gens n’est souvent pas d’évaluer l’information en soi, mais plutôt d’évaluer le porteur de l’information, s’il s’agit d’une personne ou d’un site qui a déjà ma confiance, alors je vais accepter cette information sans aucune forme de vérification. Par contre, si l’information vient d’une personne ou d’un site auquel je ne fais pas confiance, alors je rejette l’information sans l’examiner.

Nous avons également une tendance naturelle à nous entourer de gens qui pensent comme nous et qui ont des opinions similaires, et à lire des journaux ou consulter des sites qui présentent des opinions avec lesquelles nous sommes déjà en accord. Avec le temps, cela mène à une situation d’isolement intellectuel dans laquelle les gens sont petit à petit exposés à une sélection de plus en plus étroite d’informations qui s’alignent déjà avec leurs opinions, et qui les rend de moins en moins  réceptifs à de nouvelles informations où opinions. Avec le développement technologique, la personnalisation des résultats de recherche et la suggestion de contenu basée sur les habitudes de navigation n’ont fait qu’amplifier cette tendance. Une fois qu’une fausse information commence à circuler au sein d’une bulle, il devient très difficile de l’arrêter. Mais si nous mettons à disposition pour les gens les bons outils, et que l’on renforce leur  esprit critique et leur capacité de fact-cheking, il devient alors possible de percer ces bulles et de limiter la propagation des fausses informations.

De la même manière que la capacité de notre système immunitaire à lutter contre les pathogènes dépend de sa capacité à les identifier en tant que tels, la capacité d’un corps social ou d’une communauté à lutter contre les fausses informations dépend de la capacité de ses membres à les détecter. Notre objectif dans cette nouvelle expérience est de tester si notre approche permettra de produire les anticorps nécessaires !

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Pour plus d'informations, veuillez contacter M. Amine Chafaielalaoui (amine.chafaielalaoui@undp.org) ou Mme. Najoua Soudi (najoua.soudi@undp.org)