Comme à l’accoutumée durant le mois d’octobre, les champignons ont envahi les marchés de Brazzaville après les premières pluies. Les congolais profitent de cette saison pour savourer ce don de la nature, faisant le bonheur des femmes qui s’improvisent vendeuses de champignons. Ces champignons, très appréciés par la population, regorgent de protéines e de vitamines utiles pour préserver la santé, leur conférant ainsi une bonne valeur nutritionnelle. Aujourd’hui, cette denrée occupe les premiers rangs des étables des marchés de la capitale mais cette abondance saisonnière ostentatoire cache une réalité moins reluisante de l’état général du système alimentaire urbain congolais.
Selon l’Institut National de la Statistique (INS) et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), la situation alimentaire et nutritionnelle au Congo n’a cessé de se détériorer au cours des dernières années. Environ 14, 2% des ménages congolais souffrent d’une insécurité alimentaire sévère ou modérée et 76,6% connaissent une sécurité alimentaire aléatoire. Ces données montrent que 88% des Congolais n’ont pas accès à une alimentation adéquate et durable. C’est avec ces statistiques accablantes que l’atelier de validation de la feuille de route sur une agriculture durable, tenu en Août 2021 à Brazzaville, a marqué le clou final des concertations départementales sur les systèmes alimentaires nationaux, plantant ainsi le décor de la situation alimentaire des foyers congolais et mettant en lumière l’ampleur les défis à relever en matière de politique alimentaire nationale.
Ces travaux qui ont permis de recueillir les propositions des parties prenantes locales impliquées dans les systèmes alimentaires, se sont déroulés en prélude au Forum Alimentaire Mondial qui s’est tenue à Rome du 1er au 5 Octobre. Ce forum, auquel nous avons pu assister en distanciel, fut l’occasion pour de nombreux acteurs internationaux de rappeler la nécessité pressante d’exploiter le potentiel agricole des villes dans la totalité de leur espace géographique. Le monde assiste à une croissance démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité qui implique des investissements colossaux dans le secteur alimentaire. Il est désormais urgent de prendre en compte l’interdépendance des milieux ruraux et urbains, et d’investir dans la compréhension des contextes au risque de se tromper d’objectifs.
S’appuyant sur sa spécificité programmatique permettant de contribuer efficacement à l’atteinte des objectifs de développement durables, le Laboratoire d’Accélération du Congo a identifié des innovations locales œuvrant notamment en faveur du renforcement de la durabilité du système alimentaire congolais. C’est le cas de l’initiative « Congolia Mayebo », littéralement en français « le congo mange le champignon », regroupant plusieurs champignonnistes qui se sont donnés pour objectif de vulgariser la consommation de champignons dans les habitudes alimentaires congolaises en assurant sa disponibilité en toute saison.
Pourquoi c’est innovant ? Aliments de saison et récoltés en grande partie en zone rurale, les champignons sont acheminés vers les marchés des grandes villes approvisionnant ainsi toutes la filière de consommation urbaine. C’est donc sa démarche de produire de manière artisanale en zone urbaine qui confère à cette initiative un caractère innovant dans un environnement quasiment non concurrentiel.
Comment ça fonctionne ? Ce modèle de production artisanale urbaine s’appuie sur une approche collaborative avec des menuiseries locales qui fournissent gratuitement des copeaux de bois à partir desquels est produit le substrat nécessaire à la croissance des champignons, contribuant par ailleurs, à leur échelle, à la valorisation de ces déchets de menuiserie. Ces copeaux de bois seront par la suite trempés dans de l’eau à pH contrôlé et stérilisés à la vapeur d’eau. Viennent après les phases d’ensemencement et d’incubation dans un climat chaud et sec, à l’abri de la lumière. Après 1 mois de germination, le passage à un climat humide et plus frais permet de lancer la production. En moyenne, 2 à 3 tiges de champignons pour un même sac de substrat avant que celui-ci ne soit composté. La récolte est commercialisée ensuite en circuit court auprès de vendeuses en gros et en vente directe.
Quels en sont les avantages et les inconvénients ? Les champignons peuvent désormais résister au hasard du temps en étant cultivés durant toute l’année. Les substrats usagés représentent également une ressource compostable de très haute qualité. L’installation en zone urbaine est propice au développement d’activités en circuit court pour faciliter l’écoulement de la production, et rend favorable le déploiement ultérieur de plusieurs de sites de production. Cependant, il existe peu de références et d’accompagnement dans le domaine au Congo. Il faut donc être autonome sur la recherche d’information et avoir le goût de l’expérimentation. De plus, cela requière de la persévérance couplée d’endurance pour faire face aux risques de contaminations extérieures et aux difficultés d’approvisionnement en intrants (souches améliorées, intrants chimiques, matériel de mesure et de maintien d’asepsie...). Il n’en demeure pas moins que le marché soit fortement demandeur, le potentiel économique de la moisson très abondant mais les ouvriers peu nombreux...
La culture urbaine de champignons constitue résolument une véritable solution pour répondre à la problématique d’insécurité alimentaire dans la ville de Brazzaville et représente, avec son faible prix de vente, une très bonne alternative à la viande pour les populations économiquement vulnérables.
L’épidémie de la COVID-19 a été une opportunité de tirer beaucoup d’enseignements pour un pays qui regorge de fortes potentialités de production agricole mais dont le système dépend en grande partie de ses importations et du secteur informel. Face aux contraintes liées à la pandémie, les acteurs du système alimentaire se sont mobilisés et des initiatives innovantes telles que « Congolia Mayebo » naissent pour transformer la menace de la dépendance du Congo aux importations en une opportunité de développement durable pour renforcer sa résilience alimentaire face aux crises externes.
Par Arold Akpwabot, Responsable Exploration, Accelerator LAb PNUD Congo