Une nouvelle façon de travailler en Afghanistan
29 août 2022
Le 15 août, soit un an après la prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan, le Représentant résident du PNUD Abdallah Al Dardari s'est entretenu avec le conseiller en communication Stanislav Saling concernant la manière dont les Afghans ont été affectés par les événements politiques et le soutien du PNUD à la croissance des petites entreprises.
Comment l'économie était-elle avant le 15 août ?
L'économie afghane dépendait fortement de l'aide. Soixante-quinze pour cent du budget était constitué de subventions. Les subventions représentaient 40 % du PIB. C'est pourquoi la principale conséquence du 15 août a été l'arrêt brutal de toutes les subventions, ce qui a été un choc considérable. Cette situation était complètement atypique. Nous avons donc vu le PIB chuter de 40 % en rythme annuel. Nous commençons également à voir les répercussions de cette situation sur le chômage, avec environ 700 000 à 900 000 chômeurs supplémentaires.
Quel a été l'impact sur les femmes ?
La part de femmes sur le marché du travail a chuté de 16 %. Nous estimons que cette baisse de 16 % a un coût compris entre 600 millions et un milliard de dollars par an. Cette baisse a également privé les ménages d’environ 500 millions de dollars de revenus au cours des six premiers mois suivant le 15 août. Le retrait, partiel ou total, des femmes de l'économie a donc déjà eu un impact considérable sur l'économie afghane et nous pensons que cet impact va encore s’aggraver à l'avenir. En effet, la participation des femmes au marché du travail se traduit par un taux de productivité moyen plus élevé que celui des hommes.
Qu'est-ce qui a changé au cours des 12 derniers mois ?
Le développement classique ne fonctionne plus car il nécessite une planification centrale très forte ou des indicateurs macroéconomiques forts. Cela n'existe pas pour le moment. En tant qu’organisme des Nations Unies, nous devons travailler directement avec les populations, injecter de l'argent dans leurs mains, leur donner accès au financement, à la formation directe et au renforcement des capacités afin qu'ils puissent générer leurs propres revenus par le biais de microentreprises, de petites entreprises et de structures communautaires. C'est un grand défi et aussi une façon très innovante d'aborder le développement. Nous ne faisons pas de coopération au développement avec l'État ; nous faisons de l'aide au développement auprès du peuple afghan.
Où allons-nous maintenant ?
L'Afghanistan est confronté à un énorme défi. Le PNUD estime que si la situation actuelle se poursuit jusqu'en 2030, nous n'atteindrons que 30 % des Objectifs de développement durable (ODD). Même dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si la paix et la tranquillité règnent et que le pays parvient à recevoir ou à générer 67 milliards de dollars à allouer au développement, il n’atteindra que 46 % des ODD. Cela signifie que le pays a besoin d'un changement radical de modèle économique.
Que faisons-nous maintenant pour rendre la croissance et le développement inclusifs ?
Nous avons lancé un grand programme nommé ABADEI pour atteindre la population afghane et mettre des financements à sa disposition. Nous ciblons 50 000 entreprises dirigées par des femmes pour qu'elles bénéficient de subventions, de prêts à taux réduit, d'une assistance technique ou d'une mise en relation avec des groupements d'entreprises leur donnant accès à des marchés nationaux et internationaux pour leurs produits. Notre objectif est de créer deux millions d'emplois au cours des trois prochaines années. Nous souhaitons créer des emplois au niveau microéconomique et voir quelle croissance cela entraînera au niveau macroéconomique. Il s'agit donc d'une approche économique totalement nouvelle, que nous appelons « théorie du ruissellement de bas en haut », au contraire d’une théorie du ruissellement de haut en bas. Nous soutenons également des projets novateurs pour la jeunesse. Nous voulons que les jeunes Afghans soient libres, qu'ils puissent innover et proposer des projets intéressants. Ce sont de brillants entrepreneurs. Les changements survenus le 15 août peuvent donc, ironiquement, donner aux Nations Unies l’occasion de modifier leur mode de fonctionnement en Afghanistan et de commencer à réfléchir et à agir sur la manière d'obtenir une croissance inclusive qui profite aux pauvres, aux femmes et aux jeunes, plutôt qu'une croissance étroite qui ne profite qu’à un petit groupe d'entreprises. Nous lançons également un vaste programme de redressement du secteur privé, en nous concentrant sur le petit secteur privé. Les gros bonnets et grands copains, si l’on peut s’exprimer ainsi, peuvent se débrouiller. Ce sont les petites gens que nous voulons soutenir.
Comment la communauté internationale a-t-elle réagi ?
Il y a un concept très important que je voudrais souligner. Nous ne devons pas reproduire l'expérience passée d'une économie dépendante de l'aide. Ce que nous devons faire, c'est dépenser cet argent pour générer des moteurs de croissance nationaux. Des revenus pour les gens ordinaires, mais aussi des revenus pour l'État afin que celui-ci puisse fournir les biens publics nécessaires en termes d'infrastructures, d'éducation, de santé, etc. La question ne se limite pas seulement à savoir combien nous recevons, mais comment nous dépensons cet argent. Devons-nous simplement revenir en arrière et reproduire le passé ? Ou faisons-nous en sorte que chaque dollar dépensé ici crée des moteurs de croissance nationaux ? L'argent arrive donc. Les Nations Unies et le PNUD ont reçu des sommes conséquentes jusqu'à présent. Nous avons besoin de beaucoup plus, mais nous devons également conclure un accord avec nos donateurs en vue de ne pas commettre à nouveau les erreurs du passé : nous n'essayerons pas de demander les mêmes niveaux d'aide pour 20 nouvelles années.
Il est essentiel de souligner que notre objectif, à travers cette économie du ruissellement, est de donner du pouvoir aux gens ordinaires. Si nous voulons pouvoir parler d'un processus économique démocratique, il doit s’agir d’un processus qui touche la majorité des Afghans. Or la majorité des Afghans sont des pauvres. Ainsi, ce que nous proposons, c’est d’autonomiser les pauvres et les marginalisés.
Pour visualiser l'interview complète [en anglais], cliquez ici.