Sur la voie de la réconciliation en République centrafricaine
30 août 2022
Le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la République du Congo, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon et São Tomé & Principe constituent l'Afrique centrale, région connue pour ses abondants gisements minéraux et ses paysages époustouflants.
Elle abrite également la forêt tropicale du Bassin du Congo, qui n'est dépassée que par l'Amazonie en termes de taille. Selon le programme des Nations unies pour l'environnement, elle contient environ 70 % des forêts du continent et abrite une espèce sur cinq sur terre. Elle fournit une bouée de sauvetage indispensable à plus de 80 millions de personnes et stocke plus de 60 milliards de tonnes de carbone, ce qui en fait un élément essentiel de la réponse climatique mondiale.
Mais cette région est également le théâtre de conflits, de déplacements, de violences contre les femmes, d'effondrement de l'activité économique, de détérioration des institutions, d’élections houleuses et d’autres violences incessantes. C'est particulièrement le cas en République centrafricaine, où, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH), parmi plus de 4,9 millions d'habitants, 610 000 sont déplacés à l'intérieur du pays, 2,2 millions sont en situation d'insécurité alimentaire et 3,1 millions ont besoin d'une aide humanitaire d'urgence.
L’avènement de régimes autoritaires a été un trait caractéristique de la politique de la République centrafricaine depuis son accès à l'indépendance en 1960. Cette situation a contribué à institutionnaliser la corruption et les violations des droits humains. Toutes ces années, de nombreuses personnes ont été laissées en marge et l'impunité a régné en maître, les gouvernements successifs n’ayant pas su répondre aux besoins de leurs citoyens, parfois dans l’optique d’enrichissements personnels au détriment du bien général.
Mettre fin à l'impunité et à 60 ans de violence
Pour que la réconciliation puisse avoir lieu, les acteurs du conflit doivent être disposés à regarder le passé en face et à accepter la responsabilité de leurs actions. Ainsi, pour qu’un pays puisse aller de l’avant, les auteurs doivent être tenus responsables de leurs crimes et les victimes doivent avoir la possibilité de raconter leurs histoires pour que leurs voix soit non seulement entendues mais aussi respectées par ceux qui ont bafoué leurs droits.
Ces dernières années, les autorités de la République centrafricaine ont pris des mesures pour lutter contre l'impunité, notamment en créant une Cour pénale spéciale et en renvoyant des affaires pénales devant la Cour pénale internationale.
Une autre structure essentielle est la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR), créée en juillet 2021 sur la base des recommandations du Forum de Bangui pour la réconciliation nationale de 2015.
La CVJRR s'emploie à enquêter et à évaluer les responsabilités concernant les événements les plus graves survenus entre le 29 mars 1959, date à laquelle le leader fondateur du pays, Barthélémy Boganda, est décédé dans un accident d'avion, et le 31 décembre 2019. Dans un délai de quatre ans, elle doit également créer un Fonds spécial de réparation pour les victimes, proposer un plan national de réparation et l’érection de monuments pour les victimes.
Ce mandat ambitieux signifie que la CVJRR subi une pression considérable de mener à bien son travail et appelle à établir une procédure de sélection rigoureuse ainsi qu’une stratégie d'enquête garantissant que les victimes obtiendront la justice qui leur a été promise lors du Forum de Bangui.
"Nous savons que le pays tout entier nous regarde, et que ce processus peut aider notre peuple à dépasser le conflit. C'est pourquoi nous voulons apporter des réponses à nos citoyens !", a confié Marie-Edith Douzima, présidente de la CVJRR à l’équipe du PNUD à Bangui qui a soutenu la commission depuis le début. Elle est l'une des cinq femmes de la commission qui ont contribué à créer un précédent important pour la parité homme femme à tous les niveaux dans les institutions publiques.
Une semaine de réflexion sur le sens de la vérité et de la justice dans des contextes de conflit
Il y a cinq ans, j'ai dirigé le projet conjoint PNUD-MINUSMA visant à documenter les violations graves des droits humains de 2003 à 2015, qui a abouti au rapport « Mapping » désormais largement utilisé par la Cour pénale spéciale et la CVJRR. Depuis lors, des tribunaux ont tenu des audiences et condamné des membres de groupes armés. Dans le même temps, la Cour pénale spéciale a finalisé sa stratégie de poursuite, lancé des enquêtes et commencé son premier procès, tout cela avec le soutien de partenaires internationaux, dont les Nations Unies.
Cette fois-ci ma mission était quelque peu différente. Après avoir atterri à Bangui en avril, j'ai rencontré les 11 membres de la CVJRR afin de réfléchir sur la façon d’auditionner les victimes des atrocités qui ont secoué la nation pendant ces 60 dernières années.
En adoptant une approche holistique et axée sur les personnes, la CVJRR doit examiner des décennies de violations des droits humains et y remédier. Pour atteindre ce but ultime, la participation significative des victimes est nécessaire. Selon une enquête de perception réalisée en 2021 par la Harvard Humanitarian Initiative, 70 % des Centrafricains pensent que l’établissement de la vérité contribuera à l'instauration de la paix, 61 % considèrent que la vérité permettra d'obtenir justice et 56 % sont d’avis qu'elle conduira à la réconciliation.
Des sondages de cette nature montrent clairement que les citoyen.nes centrafricain.es aspirent depuis longtemps à un avenir plus juste, plus pacifique et plus démocratique.
"En tant que jeunes, nous connaissons bien le lourd tribut payé par les conflits dans nos vies. Beaucoup d'entre nous ont vu leur éducation perturbée, d’autres ont dû faire face à la perte de leur famille et de leurs amis et un grand nombre de filles ont subi des mariages forcés et précoces. Ce processus est important pour nous, non seulement pour le passé mais aussi pour l'avenir, et c'est pourquoi nous sommes ici", a déclaré Huguet Francis Mongombe, représentant des jeunes et membre de la CVJRR au cours d'une des sessions de jeux de rôles que j'avais organisées.
Pendant ma semaine à Bangui, j'ai aidé la commission à établir un calendrier et une stratégie d'enquête pour entendre les victimes de certains des crimes et événements historiques les plus marquants de 1959 à 2019, y compris les survivant.es de violences sexuelles et les enfants soldats.
Alors que chaque crime est commémoré différemment en fonction de l'ethnicité, de la religion, du sexe et de l'âge des victimes et des auteurs, la CVJRR reconnaît qu'aucun incident n'est insignifiant et doit ainsi faire des choix difficiles quant aux incidents sur lesquels se concentrer tout en s'assurant que tous et toutes les Centrafricain.es se sentent représenté.es.
Bien que ma mission soit arrivée à son terme, ce fut un grand honneur d'avoir collaboré avec la CVJRR pour lui permettre d’élaborer une approche concrète qui visant à apporter apaisement et réconciliation dans la vie de millions de personnes dans le pays. Et avec nos collègues du PNUD à Bangui, en République centrafricaine, nous continuerons à aider la Commission à favoriser la réconciliation tant attendue au cœur de l'Afrique.
Marion Volkmann-Brandau
Former Rule of Law, Security and Human Rights Specialist