PNUD - Redonner l’espoir aux commerçants transfrontaliers
21 décembre 2023
Par Aaron NSAVYIMANA
Au Burundi, les hommes et les femmes exerçant le commerce transfrontalier dans les régions ouest voisine de la RDC et nord limitrophe du Rwanda, comparés aux autres communautés, ont plus fait les frais du passage de la Covid-19 dans le pays. Vivant de la traversée presque quotidienne de l’autre côté de la frontière pour s’approvisionner ou y exporter les produits locaux, ils ont vu les frontières se referment brusquement devant eux. Cette restriction totale de mouvement les a plongés dans une pauvreté sans nom. Obligés de ponctionner le capital pour survivre, beaucoup d’entre eux se sont retrouvés avec rien alors qu’ils brassent 3 à 5 millions de francs bu dans leur commerce. C’est le cas de Bernard Karenzo, de Gitwa, à Gatsinda, en commune Mwumba de la province Ngozi. « Rien à faire pour survivre, sans aucune autre source de revenus beaucoup d’entre nous ce sont reconvertis enlevant la casquette de commerçants pour enfiler la salopette de prolétaires en vendant leur force de travail en cultivant les champs des voisins moyennant une petite rémunération pour assurer la survie de la famille » dit Karenzo.
Cette fermeture de l’espace commercial doublée de la restriction d’exercer certains commerces comme la restauration, la vente de la bière et de la viande grillée a plongé les « ex-commerçants » en une situation de grande délicatesse, engendrant des situations d’atteinte psychique, de dépression pour les mères et pères de familles jusqu’à l’abandon du toit conjugal pour fuir les problèmes. D’autres ont vu surgir des conflits familiaux, déclenchés par le manque du minimum nécessaire car la femme nourricière ou le père de famille n’arrive plus à combler les besoins élémentaires à commencer par la couverture de la ration alimentaire.
Après le passage de l’épidémie, le PNUD avec le financement de la Coopération Suisse, a initié un projet de relance économique en faveur de commerçants transfrontaliers victimes. 4.000 personnes parmi eux provenant de 5 provinces et 10 communes du pays vont bénéficier de petits crédits allant de 100 à 300 mille francs bu pour reprendre une activité économique. Parmi ceux là 1.509 ont déjà reçu la première tranche.
Comme beaucoup d’entre eux étaient traumatisés par la perte de revenu et de la totalité de leurs actifs, le premier travail fait a été de leur apporter un service de détraumatisation qui les a amenés à comprendre d’abord la situation dans laquelle ils ont été engloutis mais qui somme toute n’est pas la fin du monde. C’était d’abord pour les aider à affronter la conjoncture pour y faire face, et surtout à sortir de cette prison psycho-morale dans laquelle ils se sont retrouvés.
Un second travail était de les sensibiliser sur les possibilités d’exercer une affaire commerciale à l’intérieur du Burundi car ils étaient convaincus qu’il n’existe pas d’opportunités de développer des affaires sans passer de part et d’autre de la frontière. « Je n’ai jamais pensé que je pouvais exercer une activité commerciale et tirer des profits en restant sur le sol burundais et tous les commerçants et commerçantes d’ici avaient cette conviction. C’est d’ailleurs en partie la raison qui nous a empêchés de nous adapter à la période Covid-19 qui a emporté nos moyens et notre espoir. Pour moi, la sensibilisation que nous a fait le projet a tellement une grande importante que je n’arrive pas à la qualifier à sa juste valeur. Après nous avoir sortis de la torpeur, le projet nous a ouvert les yeux. Il a enlevé cette opacité qui nous empêchait de développer des idées positives en nous cantonnant à croire que nous sommes foutus en restant à l’intérieur de nos frontières avec un capital peu consistant. Il nous a changé en nous montrant qu’avec un petit capital si on le gère bien on peut gagner sa vie et réaliser de bons rendements. C’est ce que vous allez observer en visitant les bénéficiaires de ce projet », souligne Bernard.
Il continue son récit en soulignant, « moi, j’ai eu la chance d’être compris et d’être soutenu par mon épouse pendant la Covid-19. Nous avons géré ensemble la crise. Précédemment, j’entretenais un commerce florissant avec le Rwanda avant de tomber dans la pauvreté totale à la suite du ralentissement suivi de l’arrêt total de mes activités. Quand j’ai repris, je n’avais que 300.000 Fbu que je ne voyais pas comment manager moi qui étais habitué à gérer beaucoup d’argent. Avec le projet, j’ai pris timidement un petit crédit de 100.000 Fbu, au bout de quelques jours mon capital avait atteint 500.000 Bbu, quatre mois après je suis sur le bon chemin, je vends la bière de banane et de sorgo. Je viens de raccorder ma parcelle à l’eau potable ».
A quelques mètres de là, avec le même montant de crédit, Mme Potamie Manirambona qui avait un capital pour tenir une buvette avec 3 casiers, voit aujourd’hui son business tourner avec 11 casiers ; elle a aussi diversifié son activité en y associant la vente de bière de banane. De quoi se félicite car affirme – t- elle, « aujourd’hui je couvre mes besoins familiaux sans problèmes et je peux aider aisément les parents, amis et voisins en situation de nécessité ».
En province de Kayanza, à Matongo-Bandaga, Générose Nizigama, propriétaire d’un bar restaurent se félicite : « Grâce au crédit, je ne crains plus pour le lendemain. Avec la Covid-19, j’étais désemparée, j’ai floré la catastrophe que j’ai vu venir, j’étais vraiment au bord de la fermeture. Aujourd’hui, je rêve transformer mon bar en un point touristique modèle de la région. J’ai appris comment rentabiliser les 300.000 Fbu de crédit qu’on m’a octroyés, je compte contracter un second crédit et je reste confiante en l’avenir plus radieux ».
A un jet de pierre du bar de Générose, Bonite Ndiritiro vend la viande de chèvre grillée. Il témoigne que le crédit l’a aidé à booster son business « Je peux vendre 1 à 2 chèvres par jour et gagner 10.000 Fbu par chèvre. Le crédit m’a soutenu aussi dans mes activités agricoles, j’accède facilement à l’engrais chimique pour améliorer le rendement de mes champs de maïs et d’oignon. Je vais prochainement prendre un autre crédit et lancer l’élevage de chèvres afin que je puise abattre les chèvres venues directement de mon étable, cela me ramènera beaucoup d’argent ».
Non loin du bar restaurent de Générose, nous avons croisé Servat Nsabiyumva, vendeur ambulant de chaussures d’occasion qui déclare : « Mon capital est passé de 200 à 600.000 FBu en peu de temps. J’ai remboursé le crédit et compte ouvrir une boutique car je fais le commerce ambulant de chaussures en ratissant 10km et plus à la ronde. Une fois assis, je pourrais investir davantage dans l’agriculture de légumes, oignon et maïs qui rapporte beaucoup d’argent chez nous. Je vais être boss, on ne m’appellera plus commerçant ambulant ». Et sourire aux lèvres, « Ce crédit m’a permis aussi d’ajuster ma tactique de vendre, comme j’achète en grande quantité maintenant, j’ai revu les prix à la baisse, je préfère gagner 3.000 Fbu au lieu de 5.000 Fbu par soulier, ce qui attire les clients et permet la rotation rapide de marchandises ».
Notons que ce projet porteur d’espoir compte 70% de femmes parmi ses bénéficiaires. Connues pour être les professionnelles dans le commerce informel, le projet les encadre pour qu’elles évoluent d’elles même vers la formalisation en contribuant aux taxes notamment et en évitant la fraude. En plus, il les prépare à tirer profit des avantages liés à l’intégration du pays à la communauté des Etats de l’Afrique de l’Est en mettant l’accent sur la circulation des biens et des personnes dans cet espace communautaire.