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Guérir les blessures de la guerre civile

La complexité des audiences publiques des « Huttes Palava » au Libéria sur les crimes de guerre

United Nations Development Programme
Por United Nations Development Programme

En juillet dernier, dans la ville de Saryah du comté de Rivercess au Libéria, Taly s’est levé pour décrire le profond traumatisme qu’il a subi, il y a environ 20 ans de cela, pendant la guerre civile. Devant la foule rassemblée, il a décrit comment des combattants rebelles avaient regroupé les villageois et les avaient enfermés dans le grenier à riz avant de mettre le feu au bâtiment. Il a raconté comment James, un de ses agresseurs, lui avait coupé l’oreille droite et l’avait forcé à la manger.

« L’homme et ses amis ont menti en disant que j’étais un combattant du LPC », a expliqué Taly, faisant référence à une faction armée connue sous le nom de Conseil pour la paix au Libéria, qui opérait dans les années 1990. « Certains d’entre nous sont morts sous les coups ou ont péri dans les flammes ».

La guerre civile au Libéria a entraîné des incendies de villages, le massacre de personnes et des divisions entre les communautés et les familles. Vidéo : Shutterstock

En écoutant ce récit de violence, James, qui était le voisin de Taly, a confirmé les dires de ce dernier : « Il dit la vérité », a-t-il affirmé. « Taly et moi sommes amis. Nous buvons de l’alcool ensemble. Je pensais qu’il avait oublié ce qui s’était passé parce qu’il n’en avait jamais parlé auparavant ». James a demandé le pardon de Taly et celui-ci le lui a accordé.

De telles scènes se sont multipliées au Libéria au cours des six dernières années, depuis que le pays tente d’aborder la question de l’extrême violence qui a caractérisé ses deux guerres civiles entre 1989-1997 et 1999-2003.

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Bien que deux décennies se soient écoulées, les cicatrices et les traumatismes sont encore bien présents pour de nombreuses personnes - rebelles, soldats et civils - qui œuvrent aujourd’hui pour la justice et le pardon. Photos : Shutterstock (à gauche et au centre), PNUD Libéria ( à droite)

Selon la Commission vérité et réconciliation (CVR) du Libéria, le pays a subi « toutes les catégories imaginables de violations flagrantes des droits de l’homme et de violations graves du droit humanitaire » au cours de cette période, qui a fait quelque 250 000 victimes et plus d’un million de déplacés à l’intérieur du pays, contraignant à l’exil des centaines de milliers de personnes.

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Venir à bout de la violence

Des discussions sont en cours sur la question de savoir si le Libéria devrait établir un tribunal pour crimes de guerre ou une commission de justice transitionnelle destinée à rendre compte des atrocités les plus flagrantes. Entre-temps, le pays a organisé des audiences publiques dites des Huttes Palava, fondées sur les mécanismes traditionnels de justice réparatrice et de reddition des comptes.

Facilitées par la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (INCHR) avec le soutien du PNUD Libéria, les audiences publiques des Huttes Palava ont été mises en place en 2016 dans différentes parties du pays pour traiter des violations de « moindre ampleur », allant du pillage et de la destruction de biens jusqu’aux travaux et déplacements forcés en passant par certains actes de torture et d’humiliation.

Ces audiences offrent un espace public sécurisé où les victimes rencontrent en face à face les auteurs présumés des violations dont elles ont fait l’objet et peuvent exprimer leurs griefs à l’encontre de leurs agresseurs devant un conseil de sages formés à cet effet. Les accusés admettent généralement leur culpabilité et, conformément aux pratiques traditionnelles de résolution des conflits du peuple Bassa, font preuve de pénitence en s’agenouillant devant leurs victimes pour implorer leur pardon.

Le Comité des Huttes Palava réprimande alors l’agresseur et console sa victime. Une fois pardonné, l’agresseur partage avec sa victime un verre d’eau bénite symbolisant la purification du cœur et la réalisation du vœu moral et spirituel d’abandonner le passé et d’embrasser un avenir de réconciliation et de coexistence pacifique.

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Facilitées par la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (INCHR) avec le soutien du PNUD Libéria, les audiences publiques des Huttes Palava offrent un espace public sécurisé où les victimes rencontrent en face à face les auteurs présumés des violations dont elles ont fait l’objet et peuvent exprimer leurs griefs à l’encontre de leurs agresseur. Photos : PNUD Libéria

Accusés mais reconnus comme des victimes à part entière

« Je n’ai rien fait ! Cet homme veut ternir mon nom », déclare un homme furieux d’être accusé d’avoir volé une batterie dont l’étui avait été retrouvé devant sa maison. Il s’agit de l’un des rares cas où un homme confronté à son délit a nié les accusations portées à son encontre.

Dans la plupart des autres cas, face à leurs mensonges démasqués et ayant reçu l’assurance que les audiences ne visaient qu’à établir la vérité et à entamer la réconciliation, les accusés ont fini par avouer leur délit à contrecœur.

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Si les affaires sont parfois contestées, les Huttes Palava offrent aux deux parties la possibilité d’être entendues et comprises. Photos : PNUD Libéria

La plupart des défendeurs étaient accusés d’avoir dépossédé leurs victimes d’aliments issus de leur production (riz et huile de palme) et de leur bétail, qui constituent leurs principaux moyens de subsistance. Les victimes ont été également forcées à transporter la nourriture et d’autres charges sur de longues distances jusqu’aux cachettes des rebelles, sous la contrainte des coups. Certaines victimes ont été même brûlées et leurs biens incendiés.

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Les accusés avaient souvent peur des audiences parce qu’ils pensaient qu’ils seraient arrêtés et poursuivis dans le système formel de justice pénale.

Ils avaient également du mal à reconnaître leurs torts. Bien qu’il ait été plus aisé de sympathiser avec les victimes et de les préparer pour les audiences, ces personnes étaient parfaitement conscientes de la barbarie des actes dont elles s’étaient rendu coupables.

« Certains d’entre nous ont été des victimes ou ont des parents ou des amis proches qui ont souffert aux mains des accusés », explique Joseph K. Henah, de l’Association libérienne des services psychosociaux (Liberia Association of Psychosocial Services, LAPS). « Il est difficile de conseiller les agresseurs parce que nous ressentons nous-mêmes la douleur de ce qu’ils ont fait ».

Après avoir conseillé des centaines d’agresseurs, Joseph s’est rendu compte que ceux-ci étaient aussi des victimes de la guerre, la plupart d’entre eux ayant été recrutés de force par les rebelles, très souvent comme enfants soldats.

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Dans certains cas, les coupables sont aussi des victimes de la guerre, comme les milliers de mineurs recrutés de force par les rebelles comme enfants soldats. Photos : Shutterstock

« Ma sœur a été violée pour avoir tenté de me cacher et de m’empêcher de rejoindre les rebelles », a déclaré un accusé. « J’ai dû sortir de ma cachette et me rendre aux rebelles pour lui sauver la vie ».

La ligne de défense de nombreux accusés se résume ainsi : « Si vous n’exécutez pas l’ordre qui vous est donné, c’est vous-même qui allez le subir de la part du ‘grand homme’ ». Joseph Henah a déclaré que son équipe avait constaté que bon nombre d’accusés étaient profondément en conflit avec eux-mêmes et avaient du mal à reconnaître leur culpabilité. Cependant, il a également admis que ceux-là même que l’on accuse aujourd’hui n’avaient pas été considérés comme des victimes et n’avaient pas obtenu justice pour leur enrôlement forcé et les tortures subies aux mains des soldats rebelles.

Un long chemin vers la justice

Le parcours des auteurs de délits jusqu’aux audiences comportait les étapes suivantes : l’INCHR s’était rendue dans les villages pour recenser les personnes qui souhaitaient s’inscrire dans la démarche de justice et de réconciliation. Une fois que les victimes avaient identifié les auteurs des actes perpétrés à leur encontre, elles ont été invitées à des ateliers de consolidation de la paix pour discuter des délits commis pendant la guerre.

Les appels répétés à la justice pour les délits de plus grande ampleur commis pendant la guerre, aggravés par la désinformation, ont fait craindre aux auteurs de ces méfaits d’être arrêtés. Cependant, grâce à un soutien psychosocial important, certains ont accepté de comparaître dans les audiences publiques des Huttes Palava.

Le temps et les efforts nécessaires pour faire venir un auteur présumé des violations de son domicile ou de son village à une audience des Huttes Palava peuvent être longs, et nécessitent souvent un accompagnement psychosocial et la garantie qu’il ne sera pas arrêté. Vidéo : Shutterstock

Un commandant rebelle, dont la façon de s’exprimer avait attiré l’attention de tous, a été choqué d’apprendre que son accusateur était son oncle, avec lequel il vivait sous le même toit et avait partagé le petit déjeuner ce matin-là.

« Ce n’est qu’ici que je découvre aujourd’hui que mon accusateur est mon propre oncle », a-t-il déclaré. « Ce que nous avons fait pendant la guerre était mal. Je voudrais que la guerre ne revienne plus jamais ». Il devait répondre de quatre chefs d’accusation portés à son encontre par différentes personnes. Il était l’un des rares défendeurs à qui nous avons parlé qui semblait avoir oublié la guerre, jusqu’au début du processus des Huttes Palava.

« Je ne pensais vraiment pas avoir fait quoi que ce soit de mal, et j’avais laissé toutes ces choses de côté », a-t-il déclaré avec une émotion inattendue. « Je me sens triste et mal dans ma peau de voir que quatre personnes parmi mes connaissances m’accusent aujourd’hui, je vivais heureux jusqu’à présent. Je prie Dieu qu’il m’aide à devenir un autre homme et qu’il m’oriente dans la bonne direction ».

D’autres n’ont reconnu ni leurs actes ni leurs victimes mais ont quand même admis les accusations portées à leur encontre.

Bâtir une paix durable entre voisins

Nombre d’agresseurs nous ont confié après leur audition qu’ils avaient été visiblement soulagés d’avoir obtenu le pardon de leurs victimes. Certains ont déclaré avoir tenté en vain de présenter des excuses à leurs victimes après la guerre.

« Ce n’est pas rien ce que cette femme m’a offert aujourd’hui. Je remercie Dieu d’avoir rendu ce jour possible », a déclaré celui qui avait tenté à plusieurs reprises de se réconcilier avec sa victime, qui n’avait jamais voulu lui parler.

Un autre agresseur a déclaré : « J’ai essayé de lui parler plusieurs fois, mais il est juste passé devant moi. Il avait peur de moi. Aujourd’hui, je me suis incliné devant lui, j’ai demandé son pardon et il me l’a donné. Mon esprit est libéré. C’est fini. Maintenant, je peux de nouveau aller à l’église ».

Parvenir à une véritable paix implique bien plus que de déposer les armes. Il ne peut y avoir de paix authentique sans justice. La justice est une exigence vitale pour guérir les blessures, qui repose principalement sur la vérité et la réconciliation.
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Le pardon, qu’il soit demandé ou reçu, peut prendre du temps et s’accompagne souvent de traditions culturelles telles que le fait de se prosterner, de partager de l’eau et de serrer la main. Photos : PNUD Libéria

Les audiences publiques des Huttes Palava sont essentielles pour établir la vérité sur ce qui s’est passé et obtenir des excuses, afin d’ouvrir la voie à la réconciliation et à la cohésion sociale. Les victimes ont gardé leurs blessures et leurs ressentiments pour elles-mêmes, craignant que leurs agresseurs ne les attaquent à nouveau s’ils étaient démasqués.

Taly est l’un de quelque 300 cas qui ont été résolus grâce aux audiences publiques des Huttes Palava. Le processus a également permis à 483 victimes de faire face au traumatisme qu’elles ont subi et d’entamer la reconstruction de la cohésion sociale au sein de leur communauté. Pour Taly, cela a suffi à apaiser sa douleur et son amertume, et à clore l’affaire. « C’est ce que je voulais », a-t-il déclaré. « Une reconnaissance et des excuses ».


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