Après la défaite électorale et l'exil de l'ancien président Yahya Jammeh en 2017, la Gambie, petit pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, s'est engagée dans un processus de justice transitionnelle pour reconstruire un État démocratique, où règnent les droits humains, les libertés individuelles et l'État de droit.
En Gambie, justice et démocratie au cœur de la transition
1 août 2024
La mémoire intacte des victimes
À l’intérieur de la « Memory House» à Banjul, saisissante prise de conscience de ce que fût le régime de Yahya Jammeh en Gambie pendant 22 ans. Des pièces à demies éclairées par la lumière du jour dans ce pavillon… rassemblant photos, effets personnels et lettres manuscrites de disparus sous ce régime accusé d’avoir commis à répétition de nombreuses violations graves des droits humains, notamment des exécutions sommaires, des meurtres, des disparitions forcées, des violences sexuelles, des détentions arbitraires et des actes de torture.
« C’est un lieu de mémoire et de recueillement pour honorer les victimes. Cette histoire, notre tragique histoire, doit servir à éduquer, pour que la Gambie ait un avenir meilleur. C’est notre devoir à tous »Sirra Ndow, eprésentante de la Gambie pour le Réseau africain contre les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées (ANEKED), qui gère la « Memory House »
Ce jour-là, dans l’enceinte du mémorial, Aishah Jammeh, 31 ans, est venue se recueillir une nouvelle fois. Son père et sa tante ont été tués sous la dictature. Une tragédie familiale qui l'amène sur le chemin de l’activisme politique pour la démocratie.
« Les élections démocratiques sont ce qu’il y a de plus important pour moi. À travers elles on est capable de chasser un dictateur du pouvoir . J’apprécie la manière dont nous exerçons notre démocratie désormais. Nous avons la liberté d’expression et de parole.Nous avons été réduits au silence. Mais aujourd’hui, les jeunes prennent aussi part aux réformes étatiques», déclare Aishah.
Un processus inclusif et populaire
Après le renversement de l’ancien régime, le gouvernement, nouvellement élu, a rapidement lancé un processus national de justice transitionnelle, mettant en place plusieurs institutions et organes, pour traiter les questions cruciales liées à la sécurité, la finance, la révision de la constitution, ou encore la réconciliation.
La Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC) mise en place en décembre 2017 avec pour objectif principal d’établir un bilan historique impartial des violations et des atteintes aux droits humains commises de juillet 1994 à janvier 2017 … et de faire connaître le sort réservé aux victimes disparues et d’accorder des réparations aux victimes dans les cas appropriés débuta les audiences publiques le 9 janvier 2019. Parmi les principaux objectifs de ce processus inédit pour le pays, figure donc une justice inclusive et centrée sur les victimes afin que tous les Gambiens se l’approprient. L’audience publique de près de 400 témoins fût diffusée en direct à la télévision, à la radio et sur les réseaux sociaux. Au cours de ces audiences, les victimes et les organisations de la société civile ont exprimé leur désir de justice, de respect des droits humains et la nécessité d’appuyer les mesures visant à empêcher la réitération de la répression.
Dans le rapport final de la TRRC rendu au président Adama Barrow le 25 novembre 2021, figure entre autres une liste de noms de responsables à poursuivre en justice ainsi que des recommandations visant à créer des mécanismes de prévention adaptés, notamment des réformes institutionnelles et légales.
« Ce travail a été très fructueux et inclusif à tous les niveaux. C'est un exemple en matière de leadership international »Aissata De, ancienne Représentante Résidente du PNUD en Gambie.
Et de poursuivre : « Désormais, il y a un réflexe de responsabilisation, à la fois individuelle et collective, lorsque quelque chose se produit. C'est l'un des principaux progrès que la transition a permis de réaliser ». Le Fonds de consolidation de la paix du Secrétaire général des Nations Unies a joué un rôle clé pour permettre la tenue des audiences, en fournissant notamment des équipements, un soutien technique et un appui pour le maillage territorial.
Le chantier de la reconstruction du contrat social et des institutions est toujours en cours. Dans le même temps, citoyens, activistes, victimes et organisations non gouvernementales s’érigent comme des garde-fous de la démocratie. Et, une fois de plus, porté par la jeunesse, un vent d’espoir et d’optimisme souffle sur la Gambie.
Le regard tourné vers l’avenir
Le gouvernement a pour tâche de mettre en œuvre un agenda respectant efficacement les besoins des populations en matière de paix, de sécurité, de développement et de gouvernance. Selon Sirra Ndow, directrice de la « Memory House », certes il y a une évolution, mais il reste encore beaucoup à faire. « Nous avons besoin de plus de transparence. Le système n'est pas assez efficace. Cela dit, le point positif est la perspective de reconstruction, l'opportunité de bien faire les choses. C'est ce qui est le plus motivant et inspirant », ajoute-t-elle.
Dans le sillage de la transition démocratique ouvrant notamment la voie à de nouvelles opportunités économiques et de développement, La jeunesse gambienne semble prête à relever les immenses défis qui se dressent devant elle.
« Dans des secteurs importants de l’économie comme le tourisme, la finance, le digital ou l’agro-industrie, les jeunes font un travail remarquable ! C’est là-dessus que nous devons nous appuyer car c’est sur nos épaules que repose le futur de notre pays », conclut avec un sourire Aisha Jammeh.
« Dans une région confrontée à de nombreux défis et chocs, la Gambie pourrait être un bon exemple. Maintenant qu’un important travail de fond a été effectué, le processus doit être concrétisé et les gambiens attendent des résultats », conclut la Représentante Résidente du PNUD.