Au Cameroun, retour aux affaires avec le Nigéria

Entravés par les crises sécuritaires et sécessionnistes qui ont frappé le Cameroun, les échanges économiques et commerciaux entre le Cameroun, la locomotive économique d’Afrique Centrale, et son voisin nigérian semblent revenir peu à peu au beau fixe. La tendance pourrait s’inscrire dans la durée si les efforts et leviers mis en place pour la stabilisation de la région permettent au plus grand nombre d’en bénéficier. Dans certaines localités frontalières, la réouverture des frontières et d’importants corridors commerciaux ont permis à de nombreux habitants d’exercer à nouveau leur activité. Des revenus pour les foyers et des moyens de subsistance nécessaires au développement.

9 août 2024
a couple of people that are standing in the grass

Cameroon

Photo: UNDP WACA

La barrière métallique du poste de frontière s’élève et une foule de personnes chargées de sacs, à bout de bras ou sur des pousse-pousse, charrettes à deux roues à traction humaine, s’engouffre sur la ligne droite avant que leurs silhouettes ne s’évanouissent dans un virage quelques mètres plus loin. La scène se répète, dans un sens comme dans l’autre à intervalles réguliers. À Amchidé, village situé dans le département du Mayo-Sava à l’Extrême-Nord du Cameroun, le poste de frontière que partage le pays avec le Nigeria a retrouvé l’affluence d’avant le pic de la crise sécuritaire liée à l’insurrection de Boko Haram dans la région du bassin du Lac Tchad entre 2012 et 2020. Les opérations de stabilisation immédiates ayant abouti à la réouverture des frontières et des principaux axes routiers, commerçants, riverains et marchands peuvent désormais vaquer à leurs activités.

« Depuis quelque temps, la situation s’améliore, nous retrouvons l’espoir. Je peux à nouveau vendre mon bétail aux nigérians », témoigne avec enthousiasme un éleveur et négociant camerounais, de retour de Banki, localité nigériane voisine.

Des liens commerciaux solides

Le Cameroun et le Nigeria partagent une longue frontière terrestre et maritime de 1500 kilomètres. Malgré les troubles et les crises des dernières années dont les effets ont entraîné une baisse globale des transactions, les échanges économiques restent dynamiques entre les deux pays. Le Nigeria importe essentiellement des produits vivriers du Cameroun, tandis que le Cameroun importe divers types de produits tels que  des pièces détachées, du matériel électronique et du textile. Le Nigeria est le premier partenaire économique et commercial de l’Afrique Centrale et de l’Ouest du Cameroun, avec près de 43% des importations. Les localités camerounaises frontalières du Nigeria, géant économique du continent, profitent des avantages liés à leur position géographique.

Amchidé et la commune voisine de Limani dans l’Extrême-Nord font office de centres de transit de toutes les marchandises (produits manufacturés) en provenance du Nigeria vers le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine et le Soudan. Amchidé et Limani jouent le rôle d’entrepôts ou de centres de ravitaillement pour les commerçants des villes camerounaises telles que Mora, Maroua, Kousseri, ainsi que d’autres villes plus au sud du pays. 

« On espère pouvoir appeler de nouveau Amchidé « le port sec » comme c’était le cas il y a quelques années. Il y avait beaucoup d’activités économiques et d’échanges. Un grand carrefour et une grande porte d’entrée dans le bassin du lac Tchad et toute la sous-région »
Lamine Oumate, chef traditionnel

La douane, thermomètre des échanges économiques

Le transport transfrontalier des marchandises offre des opportunités d’emploi à plein temps aux habitants de ces zones de transit, qu’il s’agisse d’activités de fouilles, de douanes, de chargement et de déchargement ainsi que de transbordement. Les revenus générés sont réinjectés dans l’économie locale au profit d’autres groupes tels que les agriculteurs ou les artisans, en supplément des produits qu’ils exportent au Nigeria. Cela contribue au développement des localités concernées, notamment à travers la construction d’infrastructures comme des marchés couverts, des entrepôts, des écoles ou des postes de polices.

« La période durant laquelle les recettes douanières étaient nulles indique une période où les activités de subsistance des locaux étaient nulles elles-aussi » ajoute ce dernier.

Avant la crise sécuritaire par exemple, le plus grand bureau des douanes de la région de l'extrême-nord en termes de recette était celui de Limani, avec 1 114 791 860 FCFA par an. Durant la période marquée par l’extrémisme violent , les recettes avaient drastiquement chuté car le trafic routier était interrompu entre les deux pays. Depuis la stabilisation de cette frontière, les recettes des douanes de Limani ont progressivement augmenté, passant de 40 millions de CFA au début de l’année 2021 à 830 millions de CFA à la fin de la même année, selon Apollinaire Adamou, expert national pour les moyens de subsistance au PNUD Cameroun.

Relance et développement par les infrastructures 

« C’est grâce à ce qui a été construit ou reconstruit que les populations reviennent peu à peu ici. C’est encore parfois difficile mais il y a des opportunités avec le commerce. Sans activité génératrice de revenus, les jeunes vont devenir des bandits ou s’enrôler au sein des groupes terroristes »
Adjudant Chef Mviri, chef de poste de la gendarmerie d’Amchidé

Selon lui, la commune a vu le nombre de ses habitants se réduire considérablement,  de 38 000 avant la crise, à un peu plus de 12 000 habitants aujourd’hui.

Tandis que subsistent les velléités sécessionnistes dans les régions camerounaises du Nord-ouest et du Sud-ouest, et des relents séparatistes dans le Delta nigérian couvrant la zone de Biafra, les programmes de stabilisation visant à renforcer les économies rurales et les opportunités d’emploi sont, plus que jamais, déterminants pour l’avenir de la prévention de la radicalisation de la jeunesse Sahélienne. C’est le constat que dresse une étude de Overseas Development Institute (ODI) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO).

Conscient de ce qui se joue pour continuer à pérenniser le partenariat commercial entre le Cameroun et le Nigeria, les deux États ont financé la construction d’un pont sur la « Cross River » reliant les localités d’Ekok au Sud-Ouest du Cameroun et Mfum au Nigeria. L’infrastructure, opérationnelle depuis fin 2021, doit permettre d'accroître les échanges économiques et commerciaux, facteurs de développement local pour les populations.