
Le centre de santé moderne YAA fait partie des centaines d'autres construits dans le cadre du Programme PDL-145 T
Témoignage de Mama Alphonsine, 42 ans – Territoire de Boende, Province de la Tshuapa
« Ce centre de santé m’a libérée d’un fardeau que je portais depuis des années. Avant, quand un enfant tombait malade ou quand moi-même j’avais besoin de soins, je devais marcher plusieurs heures pour atteindre le centre de santé le plus proche. C’était souvent en pleine nuit, avec l’enfant au dos, sans sécurité, sans assurance d’arriver à temps ». Alphonsine se souvient particulièrement de ses accouchements difficiles, réalisés sans accompagnement médical, avec tous les risques que cela impliquait. « J’ai failli perdre mon troisième enfant parce qu’il est né à la maison, sans assistance. J’avais commencé le travail trop tard pour pouvoir rejoindre le centre à pied. Il n’y avait ni route, ni transport. Et pour moi, c’était devenu normal… de risquer sa vie pour donner la vie ».
Mais cette normalité douloureuse a changé depuis que le PNUD a construit un centre de santé moderne dans son village, grâce au PDL-145T.
« Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de marcher des kilomètres. Le centre est là, tout près. J’y vais pour mes suivis médicaux, les vaccinations, et quand les enfants toussent, on les soigne vite. Je suis moins fatiguée, moins inquiète. Cette proximité a eu un effet immédiat sur sa santé, sa tranquillité, et sa capacité à s’occuper de sa famille autrement. Ce centre, ce n’est pas juste des briques et un toit. C’est une sécurité qu’on n’avait pas. C’est une charge en moins sur mes épaules. Et c’est surtout une chance pour mes filles de grandir autrement que moi ».

Des femmes enceintes sont prises en charge par un service de qualité et dans des bonnes conditions
Ce témoignage indique que le Programme de Développement Local des 145 Territoires (PDL-145T), porté par la vision du Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, incarne une ambition majeure : désenclaver les territoires ruraux, corriger les inégalités d’accès aux services de base et renforcer la cohésion nationale par le développement à partir de la base. Dans un pays où l’iniquité territoriale se conjugue souvent avec des inégalités de genre profondément ancrées, la phase actuelle du programme, axée sur les infrastructures, constitue une opportunité stratégique pour transformer durablement les rapports sociaux entre les sexes.
Mais la question demeure : ces investissements répondent-ils effectivement aux vulnérabilités spécifiques des femmes et des filles dans les territoires ? Et plus encore : peuvent-ils servir de levier structurel pour une société plus égalitaire ?

Les centres de santé offrent aux femmes des services de qualités pour leurs consultations prénatales sans risque des complications lors des accouchements
Infrastructures rurales et condition féminine : une lecture genrée des impacts
Dans les milieux ruraux congolais, les femmes sont à l’intersection de multiples formes de vulnérabilité : elles assument une charge domestique disproportionnée, disposent d’un accès limité aux services sociaux de base, sont peu représentées dans la gouvernance locale et largement marginalisées économiquement. L’infrastructure n’est jamais neutre : elle conditionne l’organisation du quotidien, le temps disponible, l’accès aux droits et la redistribution des rôles sociaux. Par conséquent, investir dans les infrastructures, c’est aussi (re)façonner les rapports de genre.

Des femmes ont bénéficié des emplois directs et indirects crées par la mise en œuvre du PDL-145 T
Réduction de la pénibilité du travail domestique
La construction de points d’eau, de routes rurales et de centres de santé à proximité des communautés constitue une avancée considérable dans l’allègement du fardeau quotidien porté par les femmes.
Moins de distances, moins de risques : dans de nombreuses zones, les femmes marchent chaque jour plusieurs kilomètres pour puiser de l’eau ou se rendre dans des centres de santé. Ces trajets, souvent solitaires et à travers des zones peu sûres, les exposent à des risques accrus de violences sexuelles, en particulier les jeunes filles.
Moins de charges physiques, meilleure santé : les efforts intenses associés au transport de l’eau ou des denrées sur de longues distances ont des impacts cumulatifs sur la santé musculo-squelettique, en particulier chez les adolescentes, les femmes enceintes ou âgées.
Moins de temps perdu, plus de possibilités : la libération du temps consacré aux corvées permet aux femmes de s’engager dans des activités de formation, d’éducation (alphabétisation fonctionnelle) ou de génération de revenus. Pour les jeunes filles, cela représente une chance de poursuivre une scolarité souvent compromise.

Infirmières, sages femmes et mères de famille, elles sont fières d'être associés à la mise en œuvre de ce vaste programme de développement local
Effets intersectoriels sur la santé, l’éducation et l’autonomisation
Les infrastructures sociales ne se limitent pas à leur usage immédiat : elles interagissent entre elles et produisent des effets en chaîne sur la condition des femmes et des filles.
Santé reproductive améliorée : l’accès facilité aux centres de santé permet une meilleure couverture des consultations prénatales et postnatales, une gestion plus efficace des accouchements, ainsi qu’un meilleur accès à la planification familiale.
Éducation des filles renforcée : la proximité des écoles réduit les abandons scolaires liés aux longues distances ou aux risques d’agression. Lorsque les infrastructures incluent des latrines séparées, des espaces d’hygiène menstruelle ou des dispositifs d’accueil sécurisés, elles deviennent des espaces réellement inclusifs.
Insertion économique favorisée : les routes de desserte agricole permettent aux femmes productrices de mieux valoriser leurs produits, d’accéder aux marchés et aux réseaux d’approvisionnement, renforçant ainsi leur autonomie économique et leur pouvoir de négociation.

La construction d'écoles modernes encourage la scolarisation des jeunes filles dans localités enclavées
Reconfiguration des rapports sociaux de genre
Au-delà de l’impact direct sur les conditions de vie, les infrastructures ont un pouvoir transformateur sur l’organisation sociale :
Redistribution des rôles : l’allègement de la charge domestique libère du temps pour les femmes, qui peuvent alors s’engager dans des dynamiques communautaires, des coopératives ou des instances de gouvernance locale.
Projection sociale accrue : l’accès à des espaces collectifs (écoles, centres communautaires) favorise la visibilité et la légitimation du rôle des femmes dans la sphère publique.
Évolution des normes sociales : en intégrant une approche inclusive dès la conception des infrastructures, le programme contribue à déstabiliser les normes qui naturalisent la pénibilité féminine et à valoriser la contribution des femmes au développement.

Des femmes ingénieures, électriciennes, maçons, ...s'appliquent à la construction des différentes infrastructures du programme PDL-145 T
L’approche genre du PNUD dans la mise en œuvre des infrastructures
Le PNUD, l’un des trois partenaires d’exécution du programme aux côtés du BCeCo ( Bureau Central de Coordination) et du CFEF (Cellule d'exécution des Financements en Faveur des Etats Fragiles), s’est engagé à intégrer explicitement une approche genre dans la planification, la réalisation et le suivi des infrastructures.
Ciblage technique genré : les plans d’infrastructure incluent désormais des éléments répondant aux besoins spécifiques des femmes et des filles : points d’eau situés dans des zones centrales, rampes d’accès pour les personnes à mobilité réduite, installations d’hygiène féminine dans les écoles et centres de santé.
Suivi désagrégé par sexe : des actions de collecte de données ventilées par sexe ont été menées pour mesurer les bénéfices différenciés et produire une évaluation rigoureuse des impacts réels sur les femmes et les hommes.
Participation des femmes dans la gouvernance locale : des efforts ont été réalisés pour intégrer davantage de femmes dans les comités de suivi et de planification, afin d’ancrer socialement les projets et d’en assurer la pertinence à long terme.
Vers une transformation durable : perspectives et engagements
Afin de consolider cette dynamique de transformation sociale par l’infrastructure, le PNUD prévoit de :
Lancer des audits genre des infrastructures existantes et en cours pour documenter les effets et ajuster les futures interventions.
Renforcer les capacités des acteurs locaux (ingénieurs, chefs de chantiers, comités) à l’intégration de l’approche sensible au genre dans toutes les étapes du projet.
Institutionnaliser des mécanismes participatifs dès la conception des projets, avec une implication active des femmes bénéficiaires dans les territoires.
Utiliser des indicateurs genre dans le système de suivi géoréférencé, non seulement pour le reporting, mais aussi comme outils narratifs des transformations sociales en cours.

Grâce aux activités génératrices de revenu les femmes prennent en charge leurs familles et deviennent financièrement autonomes
Penser les infrastructures comme outils de justice sociale
Le PDL-145T n’est pas un simple programme de construction. Il est un projet de société, un chantier de rééquilibrage territorial, économique et social. Si les infrastructures sont pensées, conçues et évaluées avec une conscience aiguë des dynamiques de genre, elles deviennent des outils puissants de justice et d’émancipation. Dans le cas contraire, elles risquent de reproduire, voire de renforcer, les inégalités qu’elles prétendent corriger.
En somme, penser les infrastructures au prisme du genre, c’est garantir que le développement local soit véritablement inclusif, équitable et durable.
Texte de François Elika ( Spécialiste partenariat et mobilisation des ressources) et Clarisse Museme ( Analyste à la communication)