onvertir les conversations radiophoniques issues d’émissions-débats en données pouvant influencer la prise de décision et l’élaboration des politiques, telle est la dernière expérimentation à date conclue par l’Accelerator Lab du Togo.
Quel était le défi de développement à relever ?
Plus qu’une crise sanitaire, la maladie de la Covid-19 a engendré une pléiade de défis socioéconomiques et politiques. Le port des masques de protection, la distanciation sociale, la désinformation notamment via les réseaux sociaux, le confinement, les couvre-feux, les fermetures des marchés, des écoles ou encore le bouclage des villes ont été autant de phénomènes inaccoutumés qui ont remis en question nos habitudes sociétales et nos façons de vivre.
Le PNUD se devait de comprendre ces phénomènes nouveaux, identifier les besoins urgents des populations et mettre en action les initiatives efficaces pour appuyer le Togo dans sa réponse multisectorielle à la pandémie pour le bien des populations.
A l’heure de la distanciation sociale, comment sonder les citoyens sur leurs besoins urgents, leurs peurs et craintes pour leur bien-être ? Quelles solutions entrevoient-ils pour supporter ou mieux, sortir de la crise ? Le laboratoire d’Accélération a proposé une approche innovante qui ne nécessite pas d’interactions interpersonnelles mais a la particularité de garantir un taux élevé de participation et d’assurer la collecte de données plus variées qu’on ne pourrait obtenir à travers un questionnaire classique.
Ce que nous avons fait.
Nous avons réalisé une étude de l’opinion publique sur des thématiques clés liés à la Covid-19 : les origines de la maladie, comment prévenir et se protéger soi-même ou les autres de la maladie, l’adhésion aux mesures sanitaires et sécuritaires prises, les conséquences de la pandémie sur les activités socio-économiques.
En partenariat avec le Centre d’Observation et d’Analyse du Web (COAWEB), organisation de la société civile spécialisée dans la lutte contre la désinformation, nous avons mené cette étude de perception sur une période d’un mois, en analysant le contenu de micros-trottoirs et appels téléphoniques d’auditeurs dans une série de 32 émissions interactives produites sur la Radio Lomé, la chaine nationale, en plus de 12 radios communautaires jouissant d’une bonne audience locale et régionale.
Ces émissions ont été réalisées en éwé, français, kabyè, mina et tem ; les langues plus parlées dans chacune des 5 régions administratives, de sorte à favoriser la participation des populations. De plus elles ont été une contribution de lutte contre la désinformation des « fake news », rampantes sur les réseaux sociaux notamment WhatsApp, en répondant en temps réel aux craintes et aux idées fausses des intervenants sur le nouveau coronavirus.
En somme, plus de 200 participants aux micros-trottoirs et appels téléphoniques. En combinant la portée des émetteurs des radios avec la densité démographique des champs de diffusion des radios, on estime que les émissions ont eu une audience potentielle de 5,225 millions de personnes.
Pourquoi la radio ?
Nous avons donc voulu faire une étude de perception par le biais d’un média traditionnel comme la radio plutôt que par les réseaux sociaux pour non seulement utiliser dans cette étude une source de données non conventionnelle mais également pour inclure les personnes dans les zones enclavées ou sans accès à l’internet. De plus ce canal présente l’avantage d’éliminer les biais de réponses ; où les répondants cadrent leurs opinions pour se montrer sur un jour favorable vis-à-vis de la société ou de l’enquêteur.
Au Togo, il existe plus de 75 radios publiques et privées parmi lesquelles des radios de proximité qui servent d’instruments de renforcement des identités et de la solidarité communautaires, profitant du pluralisme médiatique mis en place depuis les années 90. Les émissions-débats, tout particulièrement, sont des forums de libre expression sociopolitique et de véritables greniers d’informations débridées sur les défis et opportunités de développement auxquels les communautés font face.
Qu’avons-nous appris de cette initiative ?
Les conclusions de l’étude sont disponibles sur le site du PNUD. Quant à l’initiative elle-même et le fait de faire une enquête de perception via la radio (radio mining), voici quelques leçons apprises :
1. Les conversations sont beaucoup plus inclusives et libres par la radio que par les réseaux sociaux. Les intervenants par téléphone aux émissions ont été plus loquaces et ont mieux détaillé leurs opinions.
2. Sur les réseaux sociaux, la conversation est plus importante et révélatrice de l’opinion publique sur les comptes privés des membres que sur la page officielle de COAWEB, notamment sur Facebook où les utilisateurs ont été invités à intervenir sur les thématiques débattues sur les ondes.
3. La transcription manuelle de l'audio en texte pour analyse est « gourmande » en ressources. Cela nous a pris 2 à 3 semaines supplémentaires et mobilisé plus de personnes qu’initialement prévues pour transcrire les émissions ; l’étape de la transcription e des émissions en langues locales ayant été la plus difficile.
4. L'analyse objective des réponses à des questions ouvertes nécessite des techniques, outils et savoir-faire appropriés ; surtout dans le cadre d’un sondage d’opinion comme celui-ci où retracer le contexte permet de comprendre les biais qu’il peut introduire dans les réponses des enquêtés.
5. La radio communautaire est un bon canal de communication de proximité circoncis à une région ou une communauté bien précise.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Voici quelques pistes à explorer pour mettre à contribution les leçons apprises et bâtir sur cette expérimentation :
1. Explorer les pistes d’automatisation de l’analyse des données issues des émissions radiophoniques, en partenariat avec le projet UN Global Pulse qui a réussi à appliquer les technologies de pointe de l'intelligence artificielle (IA) aux émissions radio pour mieux comprendre les besoins des citoyens, en particulier ceux qui n'ont peut-être pas accès aux technologies plus modernes.
2. Explorer d’autres sources de données alternatives en considérant d’autres canaux inclusifs de sondage d’opinion. Si on a pu obtenir des informations à travers les émissions radio, ne pourrait-on pas en faire autant via SMS, USSD ou n’importe quel service de messagerie populaire auprès de nos populations ?
3. Elaborer une méthodologie d’utilisation des radios de proximité dans les projets de développement durable comme moyen de détection rapide des priorités de développement. On peut imaginer utiliser ce médium pour le retour d’information dans le cadre de la lutte contre d’autres maladies comme le paludisme, le VIH/SIDA et la tuberculose. La radio pourrait également faciliter le suivi-évaluation des projets de développement
Si vous aussi avez des expertises ou solutions inclusives qui pourraient automatiser la collecte, le traitement et l’analyse de données pertinentes sur la perception et l’opinion publique, n’hésitez surtout pas à nous contacter via email et Twitter.