Ces dernières années, le continent africain a réalisé d’importants progrès en matière de numérique et de digital, comme en attestent la vulgarisation massive du téléphone portable et de l’internet, le succès de la banque en ligne et l’émergence d’un écosystème de startups innovantes. Cette transformation digitale apporte des solutions locales aux enjeux sécuritaires et de développement des territoires du Sahel tels que la sécurité, la santé, l'agriculture, le transport, l'e-commerce, l'emploi des jeunes et la bonne gouvernance. La jeunesse est en première ligne de ce développement et voit s’ouvrir de nouvelles portes grâce à la demande grandissante en compétences digitales. Cela étant, les avancées varient d’un pays à l’autre et de nombreux défis restent à relever, comme en Mauritanie, au Nigéria et au Mali.
Au Sahel, le tournant du digital
9 août 2024
C’est une ambiance studieuse qui règne ce jour-là dans la salle principale de ce Lab, incubateur d’entreprises de Nouakchott. Entre les écrans, les objets connectés et les appareils de robotique, Mohamed Lemine inspecte une énième fois son matériel avant sa prochaine session de formation. Cet ingénieur en informatique et entrepreneur digital de 25 ans est le cofondateur de Rim Academy, un programme qui initie les jeunes de moins de 18 ans à l’utilisation de la robotique et des outils divers de l’univers du digital.
« Nous savons que les technologies sont l’avenir ! La pandémie de covid-19 a été révélatrice. Le monde s’est tourné massivement vers ces technologies pour assurer la continuité des activités. Afin de saisir l’opportunité de ce tournant majeur, il est crucial d’initier les jeunes aux technologies le plus tôt possible, car demain ce secteur représentera une part importante du marché de l’emploi »Mohamed Lemine, ingénieur en informatique et cofondateur de Rim Academy
En Mauritanie, une solution individuelle à portée universelle
Mohamed est un « geek » passionné de jeux vidéo qui se destinait davantage à une carrière de développeur. Alors qu’il est étudiant à l’université, il souhaite changer de filière et s’inscrire à la faculté qu’il convoite au Sénégal. Malheureusement les inscriptions sont closes et il se retrouve à tourner en rond pendant une année. C’est ainsi que l’idée lui vient de créer une plateforme d’orientation pour les étudiants·es mauritaniens·nnes, laquelle leur permettrait d’être informés·ées en temps réel sur les parcours scolaires à l’étranger, les concours nationaux et internationaux ainsi que les bourses d’études. Une sorte d’annuaire associatif, combiné à un réseau de mauritaniens de la diaspora disposés à partager leurs expériences et des informations utiles.Aujourd’hui, près de 10 000 personnes interagissent sur cette plateforme.
« L’objectif c’est de permettre à ceux qui le souhaitent de se préparer dans les temps pour augmenter leurs chances de réussite. Je me suis rendu compte en grandissant qu’il y avait de vrais besoins dans de nombreux domaines, notamment celui de l’éducation. On doit pouvoir rendre la technologie accessible au plus grand nombre car cela facilite la vie » justifie Mohamed.
Comme d’autres jeunes talents du secteur des technologies dans le pays, Mohamed travaille désormais en collaboration avec le Gouvernement. La création pour la première fois en 2020 d’un ministère dédié à la transformation numérique, à l’innovation et à la modernisation de l’administration témoigne de l’importance accordée à ce secteur. La feuille de route stratégique de l’agenda national de transformation numérique est claire :faire de la Mauritanie le premier pays numérique de la région du Sahel. De quoi donner de l’espoir dans la perspective de création d’emplois et de développement économique dans cette région où 65 % de la population a moins de 25 ans, mais représente moins de 10 % de la population active.
Une étude publiée par l’Union Internationale des Télécommunications a démontré qu’une hausse de 10% de la pénétration d’internet haut-débit mobile en Afrique engendrerait une hausse moyenne de 2.5% du PIB/habitant. Pour cela, il faudra notamment déjouer les obstacles que représentent la couverture internet sur le territoire ainsi que les récurrentes coupures d’électricité. Des obstacles que le gouvernement mauritanien compte bien surmonter, grâce notamment au développement des énergies renouvelables (solaire, éolien et hydraulique) sur toute l’étendue de son territoire.
Dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’agro-industrie et des services, la tech’ suscite de nombreux espoirs tant pour les opportunités économiques qu’elle induit que pour les perspectives d’égalité et d’amélioration du quotidien. En soutenant des entrepreneurs du digital comme Mohamed, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) permet par ricochet au ministère de la Transformation numérique de bénéficier d’acteurs opérationnels, en capacité de répondre aux exigences des chantiers lancés dans le domaine des technologies.
Au Nigeria, des solutions digitales depuis le bas
En Afrique de l’ouest, la nécessité de se tourner vers les technologies du numérique et le secteur du digital n’est plus à démontrer. Le Nigeria, géant continental, compte des dizaines de milliers de créatifs, développeurs, ingénieurs, informaticiens, designers etc., et surtout un marché intérieur potentiel de plus de 200 millions de consommateurs. Ce qui explique donc que le poids du secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans la production de richesse soit en constante augmentation. 18% du PIB au deuxième trimestre 2022.
Pour autant, dans un contexte de forte concentration des marchés et des usages dans des zones géographiques privilégiées (urbaines et périurbaines), de nombreux jeunes talents de la tech manquent de visibilité. Les jeunes nigérians représentent plus de la moitié de la population active, mais 43 % d'entre eux sont sous-employés ou au chômage. Afin de contribuer aux solutions à ce problème, le PNUD a créé « Les accelerator Labs ». L’objectif est de mettre en relation les jeunes demandeurs d'emploi et les prestataires de services en impliquant diverses parties prenantes, notamment des jeunes, des représentants des secteurs public et privé, des établissements d'enseignement, des centres de formation professionnelle et des pôles d'innovation, par le biais des médias sociaux, d'entretiens directs, de séances réflexions collectives ou d’enquêtes.
« Au Nigeria, nous sommes confrontés à des problèmes de sécurité alimentaire, de santé ou d'insécurité. Au laboratoire, nous sommes convaincus que les personnes les plus touchées par ces problèmes ont elles-mêmes les meilleures solutions les plus durables. C'est pourquoi, au lieu de procéder du haut vers le bas, nous privilégions une approche du bas vers le haut. Ce n'est pas nécessairement le rôle des jeunes de résoudre les problèmes nationaux ou locaux. Pourtant, ils ont beaucoup de solutions, et si nous les écoutions davantage, nous serions surpris par leur niveau de connaissance et d’expérience »Djamila Mohamed, Directrice de l’expérimentation pour cette plateforme.
L'approche des Accelerator Labs vise à « faire en sorte que les solutions technologiques aient plus d’impact en dehors des « hub » où elles sont créées. Combler le fossé [entre les créateurs de solutions et les personnes à qui elles s’adressent]. Il est nécessaire d’avoir un équilibre entre la recherche et l’obtention de solutions. Entre la base et le sommet il faut que chacun puisse apprendre les uns des autres » abonde Lantana Elhassan qui dirige le domaine de la recherche. De quoi inspirer la jeunesse à rejoindre le mouvement.
Au Mali, une revitalisation de la santé par le digital
Au Sahel dans le domaine de la santé, la démocratisation du digital permet de nombreuses avancées positives, notamment pour les populations les moins traditionnellement touchées par le phénomène. Au Mali, où l'accès au soin est très inégal, les Centres de Santé Communautaire (CSCOM), qui représentent le premier niveau d’entrée dans le système sanitaire, jouent un rôle déterminant dans les zones rurales. Depuis 2022, dans la région de Ségou, le centre de la localité de Kalaké connaît une petite révolution grâce à la mise en place d’un logiciel et d’équipements informatiques (écrans, ordinateurs, imprimantes thermiques) permettant d’améliorer considérablement le parcours santé des patients.
Le patient entrant dans l’établissement se voit attribuer un numéro de suivi, de la consultation au laboratoire, jusqu’à la pharmacie. Ce numéro est relié à un dossier numérique contenant ses informations médicales et mis à jour en temps réel par les agents du centre de santé, dont 5 ont été formés à l’utilisation de cette technologie. Terminé donc les piles de dossiers, les tickets et feuilles volantes qui se perdent trop facilement. La prise en charge est plus rapide et plus efficace. De quoi ravir les patients et le Docteur Siaka Traoré, le Directeur Technique du Centre de Santé Communautaire de Kalalé depuis plus de douze ans.
“ Nous tirons chaque jour profit de ce nouveau système qui change la vie de tous.es. Du personnel comme des patients·es. En tant que service public, ce que nous cherchons est la satisfaction des usagers. Là on sent et on voit cette satisfaction” décrit le praticien, avant d’ajouter “Ce système nous permet aussi de mieux gérer nos finances. Toutes les informations sur les ressources, les mouvements de caisse et les patients sont disponibles en temps réel, il est impossible de frauder”.
La digitalisation de la santé offre un autre avantage. La possibilité d’avoir recours à la télémédecine. Si le diagnostic ou le traitement d’un patient nécessite l’intervention d’un spécialiste (psychiatre, gynécologue, pédiatre), le Docteur Traoré effectue une consultation par webcam interposée avec un confrère d’un service hospitalier. Plus besoin donc pour le patient de se déplacer à Bamako ou dans un hôpital de ville pour consulter.
“J’aimerai que toutes les consultations de toutes les spécialités soient centralisées dans ce logiciel à l’avenir et que tous les CSCOM du Mali bénéficient de ce système” plaide le Docteur Traoré.
Le pays compte plus de 1600 CSCOM. Le projet Santé Digitale (SanDi) mis en place par le PNUD a permis de former à ces pratiques du digitales 42 participants venus de plusieurs régions du Mali.