Le Gabon entre dans l’ère des élections transparentes

Gabon
Alors que Libreville se vide peu à peu, les habitants rejoignant leurs provinces pour voter ce samedi, le premier étage de l’hôtel Radisson Blu s’est transformé en centre névralgique de l’observation électorale. Dehors, les affiches de campagne colorent les rues ; dedans, des observateurs citoyens formés se préparent à suivre l’un des moments les plus décisifs de l’histoire démocratique du Gabon.
C’est une occasion unique pour les Gabonais de prendre leur destin en main. On compte 920 000 électeurs inscrits — soit presque la moitié de la population. C’est énorme.Robert Gerenge, Conseiller électoral régional pour l’Afrique, PNUD
L’enjeu est de taille. Après le coup d’État militaire d’août 2023, le Gabon a défini une feuille de route pour un retour à un pouvoir civil. Le scrutin de ce samedi est une étape clé de cette transition, dans un nouveau cadre constitutionnel. Plus qu’une élection, c’est un test pour le renouveau démocratique du pays.
C’est la toute première fois que les Nations Unies sont invitées à accompagner un processus électoral au Gabon — plus de 60 ans après l’indépendance.Luc Gnonlonfoun, Représentant résident du PNUD au Gabon
Suite au référendum de 2024, le nouveau Code électoral gabonais reconnaît officiellement le rôle des observateurs citoyens — une innovation démocratique majeure. Au cœur de ce changement : le Réseau des Observateurs Citoyens (ROC), une coalition de 12 organisations de la société civile mobilisées pour des élections crédibles et transparentes.
Le rôle de la société civile n’est pas seulement reconnu, il est valorisé. D’habitude, ce sont les observateurs internationaux qu’on met en avant. Ici, c’est l’expertise nationale et l’appropriation locale qui font la fierté du pays — et même de la sous-région. J’espère que ce modèle inspirera les pays voisins à renforcer la transparence et l’inclusivité de leurs scrutins.Blanche Simonny Abegue, Coordinatrice du ROC
La Situation Room, c’est une vraie démonstration d’appropriation citoyenne. Le ROC ne se contente pas de recevoir des informations : il joue un rôle actif, informe le public et incarne la transparence du processus.
Soutenue par le PNUD, le gouvernement du Japon, la France, la Coopération suisse et l’OIF, cette approche inédite permet une coordination en temps réel entre 500 observateurs de terrain et une équipe centrale, sur trois jours : installation et répétitions la veille, observation le jour J, puis analyse et restitution le lendemain.
Les observateurs, formés à des méthodologies rigoureuses, sont équipés de tablettes pour transmettre leurs observations en temps réel.
Mon rôle, c’était de vérifier comment les élections se déroulaient dans les bureaux de vote : comment les électeurs étaient accueillis, notamment les personnes en situation de handicap, et si l’armée faisait bien son travail de sécurisation. Je suis allée voir plusieurs centres pour me faire une idée. C’était ma première fois comme observatrice, mais j’ai adoré. J’aimerais vraiment recommencer. Ce modèle m’a beaucoup plu.Blandine Siety, 53 ans, observatrice sourde du ROC
Les observateurs relèvent plusieurs indicateurs : heure d’ouverture des bureaux, présence du matériel et du personnel, bon déroulement du vote, sécurité, éventuelles irrégularités. Ces données alimentent un tableau de bord qui permet à l’équipe centrale de transmettre des mises à jour aux autorités et au public en temps réel.
L’un des vrais atouts, c’est de pouvoir intervenir tout de suite. Le jour du vote, c’est une grosse machine, il peut y avoir des imprévus. Si un bureau n’a pas reçu son matériel à temps, on peut le signaler au ministère de l’Intérieur tout de suite. Ça permet de corriger les choses rapidement, de garantir la participation et d’éviter que les tensions ne montent. Ça renforce la paix et la confiance. La société civile devient un partenaire à part entière du processus.Robert Gerenge
Dr Ibrahima Amadou Niang, chef d’équipe à l’unité Gouvernance du bureau pays du PNUD Sénégal, faisait partie du groupe d’organisations de la société civile qui a mis en place le modèle de la Situation Room lors des élections sénégalaises de 2012. Il s’est rendu au Gabon en 2024 pour former le ROC à ce dispositif.
Dans de nombreux pays, ce modèle a joué un rôle clé dans l’acceptation des résultats électoraux et dans le renforcement de la cohésion sociale par une participation plus constructive. Les équipes travaillent ensemble dès les premières heures du matin dans les trois espaces dédiés — la salle technique, la salle analytique et la salle politiqueDr Ibrahima Amadou Niang, chef d’équipe à l’unité Gouvernance du bureau pays du PNUD Sénégal
La Situation Room est organisée en trois espaces distincts :
Salle technique : cœur de la collecte des données, avec des binômes par province. Les données — incidents, violences, taux de participation, irrégularités — sont affichées sur écrans géants.
Salle analytique : ici, les analystes transforment les données en notes d'information. Trois rapports sont produits dans la journée : un brief sur l’ouverture, une mise à jour à mi-journée, et un résumé en fin de journée.
Salle politique : réservée à 7–11 personnalités ayant un accès direct à la présidence, au ministère de l’Intérieur, et aux forces de sécurité. Ses membres prennent des décisions clés, relaient les alertes aux autorités compétentes et assurent la communication avec le public en temps réel.
Ce vendredi, pendant les répétitions, plusieurs candidats à la présidentielle sont venus saluer l’initiative.
Félicitations au ROC pour cette belle initiative. C’est enfin notre essor vers la félicité. Nous avons décidé de faire de ces élections un modèle pour notre pays.Brice Clotaire Oligui Nguema - Candidat
Le dispositif qui m’a été présenté est très professionnel. Il mérite d’être encouragé. Cela crée un climat électoral transparent.Représentant d'Alain Claude Bilie By Nze, Candidat
Ce mécanisme me rassure en tant que candidate.Zenaba Gninga Chaning, Candidate
D’autres visites sont prévues le jour du scrutin.
Alors que le Gabon s’apprête à écrire une nouvelle page de son histoire démocratique, ce modèle d’observation inclusive, transparente et citoyenne pourrait bien inspirer une nouvelle génération de scrutins dans la région.