Un sahel résilient grâce à l’entrepreneuriat des femmes

De tout temps et en fonction des sociétés, de leur groupe ethnique et de leur héritage traditionnel, les femmes en Afrique ont toujours et naturellement occupé un rôle déterminant. Mais face à certaines disparités prononcées, comme l’accès à l’école, à l’emploi et à la propriété, dans des sociétés modernes résolument tournées vers l’universalité des valeurs, il apparaît nécessaire de renforcer les capacités des femmes. Et notamment dans le sens de l’entreprenariat, l’une des clés du développement sur le continent. Au Sahel, région dans laquelle le poids de la tradition est encore très marqué, l’autonomisation des femmes dans le secteur de l’agriculture est en marche, boostée par diverses initiatives.

9 août 2024
a couple of people that are standing in front of a blue table

Burkina Faso

Photo: UNDP WACA

Au Tchad, un lac nourricier pour les femmes et leur communauté

Lancée à vive allure à bord de sa pirogue motorisée, Zara Abdoulaye entame avec rigueur et sérénité une nouvelle journée de travail. Au lever du jour, une immense étendue d’eau scintillante s’offre à elle en spectacle. Le lac Tchad, c’est tout ce que possède cette pêcheuse de 53 ans. Avec son équipe, composée en majorité de femmes, Zara passe une partie de la matinée à quelques kilomètres de la rive, déployant et remontant inlassablement ses filets. Ce jour-là encore, les eaux du lac se sont montrées généreuses et c’est la cale remplie de poissons que l’équipage regagne le village. Les carpes, capitaines et silures seront ensuite vendus sur le marché.

Mittériné est situé au bord du lac Tchad, dans la province de Hadjer-Lamis, à plus de cent kilomètres au nord-ouest de N’Djamena, la capitale du pays. Zara y a toujours vécu et y pratique la pêche artisanale depuis près de vingt ans, la principale source de revenus de sa communauté avec l’agriculture. Une réalité pour plus de 12 000 âmes autour d’elle. Mais l’insécurité liée à l’implantation de la secte djihadistes Boko Haram dans le bassin du lac Tchad depuis 2015 avait nettement freiné les activités et impacté directement les villageois. Depuis quelques mois, un relatif calme est de retour et Zara a pu bénéficier, par l’intermédiaire du PNUD, d’un renforcement de ses capacités.

Le programme de « Facilité régionale de stabilisation pour le lac Tchad » par son approche globale, permet de répondre aux défis de la gouvernance, de l’insécurité, de l’état de droit, et des moyens de subsistance dans la région. Grâce aux financements alloués par les fonds partenaires (16 millions d’euros en 2022), Zaria a bénéficié de matériel comme des intrants, hameçons, filets et caisses de stockage mais aussi de formations, comme 20 autres femmes, sur la pêche durable afin de limiter la surpêche et préserver l’environnement. Un bagage nécessaire pour son autonomie, dans un secteur encore largement dominé par les hommes.

Désormais Zaria est l’une des leader de sa communauté. Un exemple pour toutes et tous. Elle co-préside le comité de pêche des femmes de Mittériné composé d’une vingtaine de membres.

« Je suis une maman et une grand mère. Grâce aux revenus de mon activité, je peux subvenir aux besoins de toute ma famille et aussi payer la scolarisation de ma dernière fille. Mon argent m’a aussi permis d’investir dans un petit commerce de détails de produits agricoles et maraîchers ainsi que d’épices. C’est très important. On vit mieux maintenant »
Zara Abdoulaye, pêcheuse

Au Burkina Faso, autonomie et leadership féminin pour l’agriculture et le climat

Au Sahel, les activités agricoles sont traditionnellement l’apanage des femmes. Plus de 70% de la main d’œuvre dans le secteur en Afrique de l’ouest. Qu’il s’agisse de la production, de la transformation ou de la vente des produits. Mais encore faut-il que ces femmes puissent contrôler leurs circuits et bénéficier de leurs revenus en toute indépendance. Au cœur de cette problématique, la solidarité et l’union des forces pour faire plus et mieux. D'où la multiplication de coopératives et entreprises de femmes, aux capacités nouvellement renforcées.

Au Burkina Faso, dans la commune de Kaya au centre nord du pays, Zaharata Sawadogo dirige l’association locale des femmes commerçantes. Depuis petite sur les marchés, elle est maintenant à son propre compte et approvisionne la communauté en divers fruits comme les bananes, les mangues, les tangelos, ou les pommes. Des tonnes de produits alimentaires qu’elle peut désormais conserver grâce à l'achat, il y a peu, de plusieurs réfrigérateurs…directement alimentés par l’énergie solaire! L’installation de panneaux photovoltaïques pour sa chambre froide dans le cadre d’un programme du PNUD, a changé sa vie. Adieu les pertes et bonjour les économies sur la facture d’électricité, réduite de moitié grâce à l’énergie verte. Zaharata et les autres femmes de son association ont également pu s’ouvrir à un nouveau marché: la vente de glaces alimentaires à partir de fruits transformés. 

« L’énergie solaire a été une initiative bienfaitrice pour les populations de notre ville d’abord en termes de réduction de coût d’électricité et ensuite parce que grâce au profits réalisés, nous arrivons à nous occuper de nos familles »
Zaharata Sawadogo, responsable de l'association des femmes commerçantes de la commune de Kaya, Burkina Faso

Grâce à ces avancées professionnelles et personnelles, les femmes de la communauté, qui occupaient déjà un rôle central, sont encore plus respectées et admirées de tous. Un statut renforcé qu’elles n’hésitent pas à mettre au service de causes importantes comme l’écologie et le changement climatique dont elles maîtrisent désormais les enjeux. Les effets néfastes du changement climatique, notamment sur les récoltes, constituent une menace directe et palpable pour les moyens de subsistance des femmes du secteur agricole.

« Nous jouons un rôle important dans la sensibilisation pour l’utilisation de l’énergie solaire. Nous parlons aux communautés et nos voix portent parce que nous sommes leurs mères et épouses.les gens savent que nous avons une vision et que ce que nous faisons est pour un meilleur avenir de la région.  Nous les femmes, nous sommes la force du continent et du Sahel. Mon conseil pour la communauté est de faire sienne les valeurs de l’union, la solidarité, la fraternité, la paix et la cohésion sociale, car c’est ensemble que nous irons plus loin » conclut Zaharata.

Une épineuse et mouvante question d’accès aux terres
Pour aller encore plus loin, le problème du droit foncier des femmes doit être concrètement solutionné. La plupart d’entre elles n’ont concrètement aucun pouvoir de gestion des terres, car celui-ci relève souvent de systèmes fonciers coutumiers, soumis à des dynamiques sociales caractérisées par une gouvernance foncière masculine, les hommes étant souvent les seuls propriétaires et héritiers des terres. Le renforcement de l’accès à la propriété et de la sécurité foncière des femmes peut renforcer davantage leur capacité de production et leur permettre d’accéder aux financements débouchant sur des innovations dans l’agriculture intelligente face au climat.

Ainsi l’ONU femmes a par exemple contribué à l’adoption de la loi malienne sur les terres agricoles (2017), qui exige que 15 % des terres appartenant au domaine public soient attribuées à des associations de femmes. Au Nigeria dans l’État d’Ebonyi, la politique révisée garantit aux femmes les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne l’accès à la terre et la propriété foncière, et la prise de décisions relatives à l’acquisition, à l’utilisation et à la cession des terres. Des avancées significatives et encourageantes même si beaucoup reste encore à faire…